Monday, April 29, 2024

La jeunesse haïtienne, cette génération perdue

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En Haïti, une génération de jeunes se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins, prise en otage par une crise qui ne montre aucun signe de répit. L’avenir, autrefois rempli de promesses et d’espoirs, semble désormais incertain, voire sombre, pour la jeunesse haïtienne. Qu’il s’agisse de l’éducation, du sport, ou de l’art, les jeunes Haïtiens sont confrontés à des défis monumentaux qui menacent leur avenir, et par la même occasion l’avenir de leur pays.

 

Prenons l’exemple de Manno, jeune footballeur talentueux et passionné, dont le rêve est de représenter son pays au niveau international. Autrefois, il aurait eu accès à des terrains de football, à des entraîneurs compétents, à des tournois locaux stimulants. Aujourd’hui, ces opportunités semblent s’être évaporées, laissant place à des terrains délabrés et à un manque criant de soutien institutionnel. Cela fait plus de deux ans que notre championnat est en arrêt maladie à cause de l’insécurité, poussant les joueurs au chômage technique forcé. Certains disent même ouvertement qu’ils pensent rejoindre des gangs pour gagner l’argent qu’ils ne peuvent plus gagner avec le football! Au lieu de taper dans le ballon, certains joueurs vont donc commencer à taper sur les gens? Manno, lui, dit qu’il a été contacté par quelques clubs étrangers. En effet, des nations comme la France ou les États-Unis n’hésitent pas à venir piller nos talents quand cela les arrange, et à expulser tous ceux qu’ils considèrent comme inutiles. À ce rythme, quelle équipe les Grenadiers pourront-ils aligner dans 10 ans si les jeunes talents comme Manno et les autres sont négligés et partent faire le bonheur d’autres pays?

 

Et cela ne concerne malheureusement pas que le football. Tous les secteurs sont touchés. Considérons par exemple Marie, jeune infirmière fraîchement diplômée de l’Université d’État d’Haïti (UEH) de Cap-Haïtien, et qui est sur le point de partir au Canada pour offrir ses services. Marie a été formée avec l’argent du contribuable haïtien, mais au final, c’est le patient canadien qui bénéficiera de ses soins, sans que cela ait coûté le moindre centime au gouvernement canadien pour la former. Voilà donc comment, au lieu d’aider un pays comme Haïti pour se relever, on le vide de ses forces vives. Les meilleurs médecins, les meilleurs infirmiers, les meilleurs ingénieurs sont démarchés sans vergogne par ces mêmes pays qui disent vouloir nous aider. Ce grand écart entre le discours des grandes puissances et la réalité nous conforte à l’idée qu’au final, les Haïtiens ne doivent compter que sur eux-mêmes.

 

Mais comment en vouloir à tous ces talents qui, souvent à contrecœur, n’ont d’autre choix que de quitter leur pays pour pouvoir s’épanouir professionnellement ailleurs. Comment en vouloir à Manno qui ne peut pas se permettre de perdre une année de plus à ne rien faire, sachant que la carrière pro d’un footballeur ne dépasse pas les 15 ans. Comment en vouloir à Marie, qui voit comment ses collègues travaillent des mois entiers sans salaire, dans des conditions particulièrement difficiles, surtout depuis que les gangs n’hésitent plus à attaquer les centres hospitaliers. Tout comme au sein d’une entreprise, la gestion des ressources humaines d’un pays ne s’improvise pas. Il faut former, mais aussi savoir garder les talents que l’on forme.

 

Si notre jeunesse est en crise, c’est aussi parceque le secteur de l’éducation, fondamental pour l’avenir de tout pays, l’est tout autant. Les écoles sont en ruine, les enseignants sont sous-payés et démoralisés, et les programmes éducatifs sont désuets. Les jeunes qui aspirent à devenir ingénieurs ou médecins se retrouvent face à des obstacles insurmontables. Sans une éducation de qualité, comment ces jeunes pourront-ils construire l’avenir d’Haïti ? Nombreux sont les jeunes brillants qui, faute de perspectives, basculent dans la délinquance.

 

Cette crise de la jeunesse haïtienne n’est pas seulement une tragédie pour les jeunes, mais aussi pour notre pays dans son ensemble. Si l’on ne parvient pas à inverser cette tendance, dans une décennie, Haïti fera face à un déficit criant de professionnels qualifiés, de leaders innovateurs, et d’athlètes compétitifs. Cette génération, qui devrait être la force motrice du pays, risque de devenir une génération perdue, marquée par la désillusion et le désespoir.

 

Il est impératif que les responsables politiques, les organisations locales et internationales, ainsi que l’ensemble de la société civile haïtienne, prennent des mesures immédiates pour redresser cette situation alarmante. Investir dans l’éducation, soutenir les talents dans le sport et les arts, et créer un environnement propice au développement des jeunes sont des étapes cruciales pour assurer un avenir prometteur pour Haïti.

 

Les jeunes d’aujourd’hui sont les dirigeants de demain. Leur perte serait une tragédie pour nous tous. Nous devons agir maintenant pour soutenir cette génération, pour qu’elle puisse réaliser pleinement son potentiel et mener Haïti vers un avenir meilleur. C’est dans l’intérêt de tous de veiller à ce que la jeunesse haïtienne ne soit pas sacrifiée, mais qu’elle devienne plutôt une génération de renouveau et d’espoir.

 

Stéphane Boudin

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