C’est un article du célèbre quotidien britannique Le Guardian qui a secoué le monde du football haïtien. Selon une enquête publiée par le journal, le Président actuel de la Fédération Haïtienne de Football, Yves Jean-Bart, surnommé ‘Dadou’, a abusé sexuellement de plusieurs filles mineures vivant dans le centre de la FIFA. Le modus operandi de Dadou serait toujours le même. Il fait du chantage aux filles qui l’intéressent en menaçant de les expulser du centre s’il n’obtient pas ce qu’il veut. Dadou ne parle pas directement aux filles, mais confie cette mission à une dame travaillant au centre, et qui joue le rôle de rabatteuse bien malgré elle. Parmi les victimes probables de Dadou, beaucoup ont perdu leur virginité face à lui, d’autres ont été poussées à avorter pour éviter tout scandale ultérieur.
L’âge relativement jeune des victimes combiné à la peur d’être renvoyées du centre les a conduites à se murer dans le silence pendant de longues années. Les jeunes joueuses ne pouvaient donc demander une aide extérieure bien qu’elles souffraient le martyre dans leur chair. Les accusations d’une extrême gravité contre le Président de la FHF révèlent que ces actes criminels ont eu lieu au moins durant les cinq dernières années. Ayant eu vent de l’article mettant en cause Mr Yves Jean-Bart, l’office de protection des citoyens haïtiens (OPC) a demandé au ministère de la Jeunesse et des Sports et au ministère de la Justice de diligenter une enquête le plus rapidement possible. La FIFA n’a pas encore réagi et attend probablement les résultats d’une enquête officielle pour s’exprimer sur le sujet, et éventuellement préconiser de nouvelles recommandations pour protéger les jeunes joueuses à l’avenir. Rappelons que le centre de formation d’où sont issues les filles victimes de harcèlement est financé par la FIFA. Inauguré en 2001, il vise à accompagner les adolescentes issues de milieux pauvres et à faciliter leur intégration dans la société via le sport.
Yves Jean- Bart quant à lui doit sentir la pression se faire de plus en plus pesante sur ses épaules, que ça soit de la part des dirigeants de l’instance mondiale de football qui sont ses supérieurs hiérarchiques, ou de la part de la justice haïtienne. Le principal suspect, élu pour un sixième mandat en février dernier et qui dirige la FHF depuis deux décennies, nie en bloc et se considère comme victime d’une machination. Pour lui, il n’y a jamais eu de plainte ni contre sa personne, ni contre sa fédération, et encore moins contre l’académie au cœur de ce scandale. Il affirme que ce genre de ‘pratiques’, à savoir les abus sexuels, sont tout bonnement impossibles dans le centre de formation en question, de par ses structures, ses principes d’éducation et les programmes de sensibilisation mis en place. Dadou s’est même positionné en pourfendeur des harceleurs, invitant les victimes à ne pas hésiter à porter plainte si jamais elles subissent des agressions sexuelles ou toute forme de violence physique ou psychologique. L’omnipotent Président de la FHF voit en tout cas son nouveau (dernier?) mandat menacé par ce scandale qui risque de laisser des traces et entacher durablement le football haïtien dans son ensemble.
Ces accusations surgissent à un moment où les femmes partout à travers le monde, encouragées par le mouvement #metoo, osent de plus en plus dénoncer les harcèlements dont elles sont victimes. Aux États-Unis, on se souvient tous du scandale autour du prédateur sexuel Harvey Weinstein qui a défrayé la chronique pendant de nombreux mois jusqu’à sa récente inculpation. L’ancien producteur et homme fort de Hollywood profitait de sa position dominante pour intimider les actrices. Même les comédiennes célèbres n’étaient pas à l’abri de ses intimidations.
En Haïti, les femmes prennent conscience que les harcèlements sexuels ne doivent pas rester impunis. C’est un crime qui est sanctionné sévèrement par la loi. C’est pourquoi elles ne doivent pas hésiter à porter plainte lorsqu’elles en sont victimes. Il est vrai que beaucoup d’entre elles redoutent des représailles de leur bourreau, ou encore les regards stigmatisants de la société. C’est là que les associations d’aide aux femmes doivent entrer en jeu et apporter leur précieux soutien. Quant à l’État, il n’a jusque là montré aucun intérêt à s’occuper d’un phénomène qui semble secondaire à ses yeux. En ouvrant une enquête contre le Président de la FHF, les pouvoirs publics pourront au moins créer un appel d’air qui encouragera les autres filles et femmes victimes de harcèlements à sortir de l’ombre et aller témoigner. Vivement que leurs voix soient enfin entendues !
Dessalines Ferdinand