Wednesday, May 1, 2024

Les armes doivent se taire

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Par Stéphane Boudin

‘’Au fond du trou’’, ‘’cataclysmique’’, ‘’chaos’’… il suffit de jeter un rapide coup d’œil sur les titres couvrant l’actualité en Haïti pour comprendre que notre pays ne va pas bien du tout. Notre pays se trouve plus que jamais à un moment critique de son histoire. Entre la menace croissante des gangs surarmés et l’absence de gouvernement central depuis la démission d’Ariel Henry, Haïti se débat dans une crise profonde qui évoque des images d’une Somalie des Caraïbes, devenant un territoire sans loi dominé par la violence des armes à feu.

Alors qu’il n’y a pas si longtemps, on nous jalousait pour être la Perle des Caraïbes avec un passé riche et une culture unique au monde, aujourd’hui, les Haïtiens ne cherchent plus qu’une chose : fuir! La population ne supporte plus ce déchaînement de violence gratuite menée contre elle, et dont la cause fondamentale se trouve dans la prolifération des armes à feu, symptôme d’une instabilité politique et sociale chronique. Les gangs, armés jusqu’aux dents, avec parfois du matériel sophistiqué digne des armées professionnelles, contrôlent désormais une grande partie de la capitale (jusqu’à 80%) et du reste du pays. La situation est devenue telle qu’elle évoque inévitablement des comparaisons avec des zones de conflit tristement célèbres comme la Somalie ou l’Afghanistan, là où les gens se battent entre eux depuis des décennies, sans but précis, avec en toile de fond un gouvernement central absent et un pays abandonné par tous. Et comme en Haïti, le problème majeur auquel sont confrontés ces pays, c’est bien la prolifération des armes.

Il nous suffit de regarder un peu vers le nord, vers les États-Unis, pour tirer des leçons importantes qui pourront nous servir. Voilà donc un pays avec des institutions stables et solides, une démocratie bien établie, une économie prospère classée au premier rang mondial, et pourtant, l’Amérique est confrontée à un fléau qu’elle a du mal à endiguer, celui des tueries de masse et des meurtres par armes à feu de façon générale. Las Vegas, Orlando, Virginia Tech, Newtown, Killeen… la liste des fusillades de masse est impressionnante, bien que survenant dans un contexte différent du nôtre. Cela souligne surtout un problème commun : la facilité d’accès aux armes à feu et leur impact dévastateur sur nos sociétés.

En Haïti, nous pouvons éviter plus facilement cela. Nous n’avons en effet pas de Deuxième amendement qui légalise le port d’armes, ou de lobby pro-armes puissant comme la NRA. Mieux, Haïti a de toute façon besoin d’une nouvelle constitution. Cela pourrait être une occasion en or pour interdire une bonne fois pour toutes les armes à feu dans notre pays, mais aussi pour prohiber la formation de milices paramilitaires comme celle des Tontons Macoutes qui nous ont fait beaucoup de mal.

Pour l’instant, sans gouvernement stable pour imposer et appliquer des lois strictes sur le contrôle des armes, et avec des régions entières sous la coupe de gangs armés, le chemin vers la paix est encore loin. Malgré cela, l’histoire nous a montré que le désarmement peut être le prélude à une transformation sociale profonde. En ce sens, Haïti doit entreprendre un processus de désarmement, non seulement physique, mais aussi culturel, en luttant contre la normalisation de la violence et en promouvant des valeurs de paix et de coexistence. La situation d’Haïti devrait en effet nous interpeller sur une question plus vaste, celle de la culture des armes à feu et de son impact sur la société. Le cas d’Haïti, tout comme les tueries récurrentes aux États-Unis, montre que sans une régulation stricte et une approche collective pour réduire la prolifération des armes, aucun pays n’est à l’abri de basculer dans une spirale de violence.

La communauté internationale a aussi un rôle à jouer dans ce processus. L’aide extérieure devrait être orientée non seulement vers un soutien sécuritaire, mais aussi vers le renforcement des institutions démocratiques et le développement économique, créant ainsi des alternatives à la violence pour les jeunes tentés par la voie des gangs. Ce soutien doit être à la fois durable et respectueux de la souveraineté d’Haïti, en encourageant des solutions qui émanent de la société haïtienne elle-même. Il est également impératif de mettre en place un dialogue inclusif qui rassemble tous les acteurs de la société haïtienne : politiques, société civile, secteur privé, et communautés touchées par la violence. Ce dialogue doit viser à établir un consensus national sur les voies à suivre pour le désarmement et la réconciliation.

Si aujourd’hui, on peut légitimement craindre une ‘’somalisation’’ d’Haïti, il convient également d’examiner la situation sous un autre angle, celui de la possibilité de redressement et de renaissance. Car oui, il est encore possible de sauver notre pays et de le débarrasser des gangs et des politiciens véreux. Mais le temps presse et la marge de manœuvre est particulièrement réduite.

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