Monday, May 20, 2024

Pourquoi le choix du Kenya pose problème

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L’initiative kenyane de soutenir Haïti dans sa lutte contre l’insécurité et la dégradation des infrastructures essentielles est actuellement en suspens, suite à un ordre judiciaire provisoire. Ce contretemps, survenant avant même le début de l’engagement kényan, met en évidence les difficultés flagrantes entourant l’intervention internationale en Haïti. Qu’on ne s’y trompe pas, tant que les grandes puissances n’afficheront pas une volonté politique réelle, rien ne changera.

 

Haïti, un problème insoluble aux yeux de la communauté internationale

 

La crise haïtienne, marquée par une instabilité politique chronique, une insécurité grandissante et des conditions économiques désastreuses, perdure et s’aggrave depuis des années.

 

Notre pays, qui est malheureusement considéré comme le plus pauvre de l’hémisphère occidental, lutte contre des maux profondément enracinés qui semblent défier toute tentative de résolution. Depuis 2018, Haïti est en proie à des manifestations massives et souvent violentes réclamant un changement de gouvernement, la fin de la corruption endémique et une amélioration des conditions de vie. Cependant, la réponse de la communauté internationale à cette détresse continue a été, au mieux, timide.

 

Le cycle infernal de la violence liée aux gangs, exacerbé par le vide politique et la pauvreté, a rendu la vie quotidienne en Haïti particulièrement précaire.

 

La situation s’est encore détériorée après l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021, un événement qui a plongé le pays dans une crise politique encore plus profonde. La nomination de deux Premiers ministres rivaux et l’absence d’un président élu ont accentué la confusion et l’incertitude.

 

Pendant ce temps, la communauté internationale est restée largement en marge, préférant ignorer un problème qui semble insoluble. Les appels sporadiques à la restauration de l’ordre et au soutien humanitaire n’ont été suivis que de peu d’actions concrètes. Les nations plus riches et les organisations internationales semblent réticentes à s’engager pleinement dans la résolution des crises haïtiennes. La promesse d’aide financière reste souvent non tenue, et les rares interventions sont ponctuelles et insuffisantes pour cibler les problèmes structurels du pays. Là où pour des pays comme l’Ukraine ou Israël, le soutien est rapide, pour ne pas dire quasi-instantané, pour Haïti, les années passent et rien ne se… passe.

 

Or, l’absence d’un engagement international fort a également contribué à un sentiment de méfiance et de frustration parmi la population haïtienne. Les Haïtiens se sentent abandonnés, non seulement par leur propre gouvernement, mais aussi par la communauté internationale, qui semble tourner le dos à leurs souffrances.

 

Les quelques rares tentatives de médiation et les missions d’évaluation menées par l’ONU et l’Organisation des États américains ont eu peu d’impact sur le terrain. Leur capacité à influencer le cours des événements en Haïti reste limitée, en grande partie en raison du manque de volonté politique et de ressources nécessaires pour soutenir une intervention plus robuste.

 

La non-intervention de la communauté internationale n’est pas seulement un manque de solidarité, mais aussi un échec à reconnaître que la stabilité en Haïti a des répercussions bien au-delà de ses frontières. La crise haïtienne a engendré une augmentation des flux migratoires dans la région, mettant en pression les nations voisines et accentuant les tensions régionales. Pour preuve, les murs commencent à pousser comme des champignons sur les frontières, à l’image de celui de Trump au sud des États-Unis, ou plus récemment, celui que le Président Abinader veut ériger entre Haïti et la République dominicaine.

 

La situation catastrophique dans notre pays démontre, si besoin est, les limites du système international actuel à répondre aux crises humanitaires et politiques dans les pays moins privilégiés. L’inaction prolongée face à la détresse haïtienne révèle un non-interventionnisme coupable qui laisse Haïti en proie à ses démons, sans un soutien extérieur significatif pour forger un chemin vers la stabilité et la prospérité.

 

Le Kenya, ou la solution improbable trouvée par les Américains

 

Le déploiement Kenya en Haïti, sous la bannière d’une mission multinationale approuvée par l’ONU, révèle une dimension intrigante de la diplomatie régionale et internationale. Bien que l’intervention kenyane semble être une réponse à la crise persistante en Haïti, les interactions sous-jacentes entre le Kenya et les États-Unis suggèrent une orchestration américaine possible derrière cette initiative africaine.

 

En amont de cette mission, les États-Unis et le Kenya ont signé un accord de défense, établissant une coopération étroite. Cet accord prévoit que le Kenya reçoit des ressources et du soutien pour les déploiements sécuritaires, notamment pour la mission envisagée en Haïti. Et l’implication américaine ne s’arrête pas là, puisque des discussions ont également été engagées concernant le soutien que les États-Unis seraient prêts à offrir à la force multinationale dirigée par le Kenya en Haïti, dans le but de lutter contre les gangs armés au milieu d’une crise humanitaire aggravante.

 

La position des États-Unis a été clairement exprimée par le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, qui a exhorté le Conseil de sécurité de l’ONU à approuver la mission, soulignant que Washington fournirait une « assistance financière et logistique robuste » pour le déploiement proposé. Cette volonté de soutenir financièrement et logistiquement l’intervention kenyane laisse entrevoir une tentative des États-Unis de trouver une solution de dépannage à la crise haïtienne, en capitalisant sur la volonté du Kenya de mener cette mission.

 

L’administration américaine, en soutenant la mission kenyane, pourrait chercher à pallier l’absence d’un engagement direct en Haïti, tout en contribuant à stabiliser la situation. Cela pourrait aussi refléter une stratégie des États-Unis pour maintenir une certaine influence en Haïti sans s’engager militairement de manière directe, en utilisant le Kenya comme un intermédiaire.

 

Ce plan, s’il devait réussir, montre en tout cas l’importance des alliances régionales et internationales dans la gestion des crises globales. Elle souligne comment des nations comme le Kenya peuvent être amenées à jouer un rôle plus actif sur la scène internationale, tout en mettant en lumière les dynamiques de soutien et d’influence entre les grandes puissances et les nations émergentes.

 

Pourquoi personne ne se fait d’illusions sur la mission kényane

 

La perspective d’une mission kenyane en Haïti, approuvée par l’ONU, suscite un peu d’espoir et beaucoup de scepticisme, alors que plusieurs éléments laissent présager des défis qui pourraient entraver le succès de cette entreprise.

 

Premièrement, la situation sécuritaire en Haïti est complexe et enracinée dans des problèmes socio-économiques profonds. Les gangs armés qui contrôlent de vastes zones urbaines ne sont pas seulement des groupes criminels isolés, mais sont souvent liés à des réseaux politiques et économiques plus larges. La mission kenyane, axée sur le rétablissement de la sécurité, risque de se heurter à des intérêts enracinés et à des alliances mafieuses qui rendent l’intervention extérieure extrêmement délicate.

 

De plus, le précédent des interventions étrangères en Haïti n’est guère encourageant. Les missions antérieures de l’ONU, bien qu’ayant apporté une certaine stabilité, ont également laissé un héritage de méfiance envers les forces étrangères. Des accusations d’abus, de négligence et l’introduction du choléra par les Casques bleus de l’ONU ont érodé la confiance de la population envers les interventions internationales. L’acceptation d’une nouvelle force étrangère, surtout d’un pays africain avec lequel Haïti n’a pas d’histoire commune, pourrait susciter des résistances, tant au niveau politique que populaire.

 

Sur le plan logistique aussi, le déploiement de forces posera des défis considérables. Les questions de logistique, de soutien sur le terrain, et de coordination avec les forces locales et d’autres acteurs internationaux seront cruciales pour le succès de la mission. L’incident récent où la cour kényane a temporairement suspendu le déploiement, et ce avant même que la mission ait eu le temps de se mettre en place, souligne les complications juridiques et bureaucratiques qui peuvent survenir.

 

Mais les principales interrogations concernent la capacité du Kenya à mener à bien une mission d’une telle envergure. Bien que le Kenya ait une expérience en matière de maintien de la paix, notamment en Somalie, les conditions en Haïti sont sensiblement différentes et présentent des défis uniques qui nécessiteront une adaptation rapide.

 

Quoi qu’on en dise, les Haïtiens connaissent plus les Américains, les sud-américains, et bien entendu les Caribéens, que les Africains ou les Asiatiques qui semblent géographiquement et culturellement plus lointains. Il serait donc plus logique qu’une force multinationale, si elle devait être constituée, soit dirigée par des nations émanant des régions précitées, ne serait-ce que pour faciliter le dialogue avec la population haïtienne. Déjà que les haïtiens ont du mal à communiquer avec leurs dirigeants politiques, il serait malencontreux d’accentuer leur isolement en déployant des troupes complètement déconnectées des réalités locales.

 

Dessalines Ferdinand
LE FLORIDIEN

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