Thursday, May 16, 2024

Pourquoi le Premier ministre craint la justice?

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Cela fait presque 6 mois jour pour jour que le Chef de l’État Jovenel Moïse a été assassiné dans sa résidence privée de Pélerin dans d’horribles circonstances. Depuis, les exécutants ont pour la plupart été arrêtés ou tués par la police haïtienne. D’autres ont été arrêtés à l’étranger, comme Mario Antonio Palacios qui a pu échapper à la justice jamaïcaine, mais qui fut vite rattrapé par la justice américaine. Mais qu’en est-il des véritables commanditaires? Seront-ils connus un jour? Si personne ne peut s’aventurer à répondre à cette question, plusieurs indices convergent de manière trouble vers… Ariel Henry, l’actuel Premier ministre, pour ses relations avec plusieurs suspects de premier plan.

À qui profite le crime?

Dans n’importe quelle affaire de meurtre, le coupable a toujours de bonnes raisons de commettre son forfait : jalousie passionnelle, cupidité, volonté d’accéder au pouvoir… Les raisons sont multiples et n’ont de limite que l’imagination de celui qui compte passer à l’acte. Dans le cas de Jovenel Moïse, les suspects potentiels sont nombreux. Il y’a tout d’abord les hommes d’affaires qui dirigent l’économie du pays d’une main de fer et ne veulent pas qu’on s’immisce dans leurs affaires, parfois louches. Ces derniers avaient en effet des divergences avec le Chef de l’État qui comptait assainir le pays et le débarrasser du ‘système’. . Une attaque frontale que les grandes fortunes du pays ont mal digérée. Cela fait des suspects potentiels auxquels la justice devrait s’intéresser. Sauf que cette dernière semble frileuse et pas prête à embarquer dans pareille aventure, surtout que les juges se sentent menacés physiquement, voire sont parfois victimes de harcèlements.

Il y a aussi l’opposition qui avait tout intérêt à se débarrasser du Chef de l’État qui a, en invoquant la constitution, fermé l’Assemblée Nationale devenue non-fonctionnelle et caduque à ses yeux. Depuis, les députés chôment et ne supportent pas de voir leurs salaires et leurs privilèges s’évaporer de la sorte. Or, Jovenel Moïse ne semblait pas pressé de renouveler les deux chambres, ce qui a fini par exacerber un grand nombre d’élus qui demandait sa tête, quel qu’en soit le prix.

Il y’a enfin les cartels de drogue qu’il ne faut pas négliger dans cette équation à plusieurs variables. En effet, voulant profiter du chaos ambiant qui sévit dans notre pays, plusieurs organisations criminelles comptent faire d’Haïti une plaque tournante du trafic de drogue à l’échelle régionale, voire internationale. Le plus grand marché, à savoir les États-Unis, se trouve à quelques kilomètres à peine des côtes haïtiennes. Investir en Haïti peut se révéler lucratif pour les cartels sud-américains qui cherchent de nouveaux moyens d’atteindre le marché américain et contourner les barrières dressées par la DEA.

Ariel Henry, l’homme providentiel aux relations troubles

Ariel Henry s’est retrouvé du jour au lendemain sur le devant de la scène. Peut-être lui-même n’y croyait-il pas trop. Nommé par Jovenel Moïse en tant que nouveau Premier ministre, il ne se doutait pas que le Chef de l’État allait trépasser avant même qu’il ne puisse prêter serment. La suite, on la connaît tous. Claude Joseph a lui aussi vu une occasion en or de s’adjuger le siège suprême. Le pays s’est retrouvé durant quelques jours avec 2 califes qui se bâtaient pour prendre la place du calife récemment décédé. Un affrontement qui aurait pu tourner au vinaigre sans l’intervention de la communauté internationale qui a choisi son camp en adoubant Ariel Henry. Claude Joseph, en diplomate sage et réfléchi, a cédé sa place sans faire de vague, ayant la certitude (ou la promesse de la part des grandes puissances) que son heure viendra un jour pour occuper le poste suprême.

Dès son accession au pouvoir, Ariel Henry a promis d’aplanir les divisions entre les différentes factions politiques, mais aussi d’organiser au plus vite des élections libres et transparentes. 6 mois après, les Haïtiens ne voient rien venir. Pire, le pouvoir semble plus que jamais otage des gangs qui font la loi où ils veulent, quand ils veulent. On en est au point où Ariel Henry a presque besoin de l’autorisation de Barbecue, le chef de gang le plus puissant du pays, pour pouvoir se déplacer ou pour débloquer la livraison de carburant.

Si Ariel Henry a semblé être l’homme de la situation au cours des premières semaines grâce à son profil lissé qui laisse transparaître l’image d’un homme sage et éclairé, les choses ont bien changé depuis. En effet, au cours de son enquête, la justice a découvert des communications suspectes entre le nouveau Premier ministre et des personnes suspectées d’être impliquées dans le meurtre de Jovenel Moïse. Assez vite, Ariel Henry a voulu mettre un terme à ces investigations dérangeantes. Mais s’il n’a rien à se reprocher, de quoi a-t-il peur? Pourquoi entrave-t-il le travail de la justice en limogeant les juges qui veulent faire la lumière sur l’assassinat de l’ex-Président?

Je suis innocent, mais j’agis comme un coupable

En effet, assez tôt, les enquêteurs se sont penchés sur les liens entre Ariel Henry et un certain Joseph Félix Ba

dio, ancien fonctionnaire du ministère de la Justice et actuellement recherché par la justice haïtienne pour son éventuelle implication dans l’attaque du 7 juillet contre la résidence du Chef de l’État. Or, des relevés téléphoniques montrent de manière claire qu’Ariel Henry a eu plusieurs conversations par téléphone avec Badio avant et après le meurtre. Et le lendemain du meurtre, Ariel Henry a une nouvelle fois parlé à Badio durant au moins 7 minutes. Que se sont-ils dit? Mystère.

Mieux, alors que Mr Badio était officiellement recherché par la police, il a rendu visite à deux reprises à Ariel Henry selon deux hauts responsables haïtiens. Chaque fois, la visite a eu lieu tard le soir, comme si les deux protagonistes avaient des choses à cacher. Pire, comment un homme recherché par la police nationale peut entrer dans la résidence du Premier ministre sans être inquiété? Autant de questions qui méritent des réponses, notamment si Ariel Henry a aidé les suspects dans leur fuite! Or, lorsque le juge d’instruction Bedford Claude a convoqué Ariel Henry pour s’expliquer, celui-ci a répondu à la convocation du juge en le limogeant, lui et son ministre de tutelle, Vincent Rockfeller, qui a refusé de licencier le juge ‘indélicat’. Comme quoi, la culture démocratique dans notre pays n’est pas vraiment ancrée dans les mœurs.

Qu’à cela ne tienne, une enquête menée par le New York Times a révélé le nom d’un 3ème larron qui pourrait être la clé de l’énigme. Il s’agit d’un certain Rodolphe Jaar, homme d’affaires et ancien trafiquant de drogue. Ce dernier connaît assez bien Mr Badio et ses secrets. D’après lui, Badio a demandé l’aide à Ariel Henry pour s’échapper alors que la police accentuait la pression sur les fugitifs responsables de l’attaque du 7 juillet. Et selon plusieurs hauts responsables, si Ariel Henry n’était pas Premier ministre en ce moment, il serait probablement entre les mains de la justice pour s’expliquer sur ses fréquentations louches. Toujours selon Jaar, une fois Jovenel Moïse écarté, c’est un ancien juge de la Cour suprême, Windelle Coq-Thélot, qui était censé prendre sa place, mais en aucun cas, il n’était question d’assassiner le Président, juste de le capturer. Et Mr Jaar de poursuivre en pointant également du doigt Frantz Elbé, chef de la police, qui serait l’homme qui s’est chargé d’approvisionner les mercenaires en armes. Coïncidence ou pas, une fois au pouvoir, Henry a promu M. Elbé à la tête de la police nationale (PNH). Mieux, les États-Unis, qui étaient au courant de ce qui se tramait, n’auraient rien fait pour prévenir Jovenel Moïse qu’ils soupçonneraient de liens supposés avec des terroristes et des trafiquants de drogue! Bien sûr, il faut prendre les déclarations de Mr Jaar avec des pincettes, étant lui-même loin d’être un homme de cœur, puisqu’il a déjà fait de la prison aux États-Unis pour trafic de cocaïne, et qu’il serait de mèche avec les commanditaires de l’assassinat de Jovenel Moïse pour obtenir leurs faveurs par la suite une fois qu’ils s’accapareront le pouvoir. On voit mal comment Jovenel Moïse pouvait faire alliance avec les cartels, malgré les déclarations de Mr Jaal. Au contraire, c’est peut-être parce qu’il voulait les combattre qu’ils ont monté l’opération commando contre lui.

Ce qui est sûr, c’est qu’Ariel Henry ne compte pas se laisser faire. Quiconque osera salir son nom sera licencié. Des méthodes d’un autre âge qui nous rappelle cruellement que notre pays est encore à des années-lumière de la démocratie. Et ce n’est pas les prochaines élections qui risquent d’y changer quelque chose.

Dessalines Ferdinand
Le Floridien, 15 janvier 2022

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